Actualités de l'institut d'anthropologie clinique

Bernard Garaut - 28 février 2024

Debout sur le vent #13 – Le gué

Les récits multiples entendus, partagés, générés, l’effet sur mon propre chaos de ce Dit tumultueux d’un autre,
la douloureuse beauté de leur langue singulière et le télescopage quasi permanent de nos imaginaires…

Le trouble éprouvé alors …quels recours !
La littérature, dans toutes ses formes et contenus, l’écriture, et surtout la poésie
le sont devenus.
D’abord sans le savoir.
Jusqu’à ce qu’alors je le décide.
Croiser dans un même élan,
les récits de vie,
les temps d’existence partagé-e-s
la poésie,
et l’élaboration avec tous les modes que m offraient tous ces éléments.
Tenter chaque fois de faire de l’inextricable, de l’incompréhensible, une façon
d’Etre ensemble. Là. Dans l’existence.

« …Humaniser la folie,

Désaliéner les lieux de soins… » claironnait  François Tosquelles !

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 « De quoi héritons-nous?
Comment nos histoires vivent en nous… »

                          La traversée du gué
…Bouleaux et peupliers flânent le long des berges.
L’ombre, élégante, couvre le ruisseau
silencieux, lisse.
L’air est immobile ;
comme une invite à la tranquillité ;
il suit le père dans la traversée du gué.
L’eau à mi-cuisse rend le passage périlleux.
À travers la transparence floutée de la surface , les cailloux recouverts d’algues…
       Il le regarde, arc bouté, son dos voûté, lentement
se redresser, ses deux mains fouillent l’eau ;
l’avancée continue…
L’espace sombre de l’en dessous du pont, plus loin,
initie une sourde crainte sans savoirs, avenir sans
rivages ;
des passants sur le pont animent l’air, l’espace,
distraient l’enfant ;
dans cette euphorie un instant salvatrice ses yeux
quittent le pas à pas sur les pierres glissantes et
l’homme de vue ;
recours…
d’un regard bref, prompt, il mesure la distance
vertigineuse qui les sépare ;
drôle d’étreinte.
Le coeur bat dans les tempes ;
violemment seul ;
                           Dans la pénombre de cet avenir sourd
                           l’idée que lutter il faudra.           
Il convoite les épaules du père – qui inlassablement
s’abaissent et se redressent – comme une offrande
qu’il connaît d’un ailleurs ;
il appelle.
Il l’appelle.
      Son geste de la main est majestueux…mais
l’enfant comprend vite qu’il lui intime le silence :
« chutttt ! les truites ! »
Et l’appel, l’appel s’estompe, il faudra réitérer ;
le temps s’effrite en poussières d’incertitudes.
L’air, l’eau, s’agite brusquement
de libellules, d’araignées.
                     «C’est la mémoire qui me
                       déconcertait. Je m’efforçais
                       de ne pas me souvenir et je
                       ne cessais de me souvenir.»
                                        Peter Heller.
L’annonciation abrupte d’une
traversée perpétuelle tiendra son
présage,
avançant déjà à tâtons à la recherche,
le temps sera donné par le guide du
moment. Dans chaque journée sans
rives, il faudra du haut des crêtes,
chaque fois retrouver un horizon, un
bord…
                                                  B.G.
                      « un faible vent
                       plein de visages pliés
                       que je découpe en forme                  
                       d’objets à aimer»
                
      Alejandra Pizarnik